Un air de blues.

 

Avec seulement trois accords
Quelques fantaisies, et encore !
C’est à peine de la musique
Mais d’un effet pourtant magique.

Se saisissant le soir très tard
Du manche usé de ma guitare,
Mes doigts en caressent les plaies,
De mon âme, triste reflet.

Tout le fil de ma vie s’égrène,
Le long chapelet de mes peines.
De l’émotion si retenue,
Le flot s’écoule bienvenu.

Les notes simples me rassurent,
Sont le baume de mes blessures.
Alors le miracle s’opère,
Et du blues, il en a tout l’air !

 

Trous noirs

 

Tout en frôlant les galaxies et les étoiles,
Flottant, partout, aussi légèrement qu’un voile,
Je succombais, seul dans un cosmos irisé,
A ce bonheur d’un rêve ancien réalisé.

Libéré, enfin, des terrestres pesanteurs,
Détaché de sa chair, affranchi des lenteurs,
Mon corps ethéré s’étendait immensément,
Sans nulle autre limite que le firmament.

Mais deux points ont alors bousculé l’univers,
Deux trous, plus grands et plus noirs, lentement ouverts
Dont l’attirance insensée ne put m’éviter
Ce moment ultime d’extrême gravité.

Passant l’horizon immobile de ma vie,
Juste avant la chute, étourdissante, infinie,
Ai-je pu reconnaître dans ce noir qui brille
Les puits fatals de ton regard, de tes pupilles.

 

Le poids du silence

 

Pesant silence ! un kilo? une tonne?
Deux kilos de musique qui ne sonne,
Cinq kilos de swing muet qui balance,
Mettez-moi donc dix kilos de silence.

Je suis seul maintenant, aphone et sourd,
Le son me manque et tout devient si lourd !
Un jour sans bruit et j’ai pris deux kilos.
C’est, de ce mutisme, payer le lot.

Soudain, dans l’air, comme un frémissement,
Des pas dans l’escalier, un frottement.
Cette résonance vient jusqu’à moi.
Puis, un coup; la porte s’ouvre, c’est toi !

Tu es là, me regardes et souris
Je suis las, je te regarde, alourdi.
Je t’aime, ton silence, son écho.
Tiens! sans un bruit, j’ai perdu deux kilos.

 

Nous, le temps

 

Mon Dieu! si long et si court est le temps !
Il n’est rien si ce n’est l’éternité,
Toute de vides et d’infinités,
Qui diminue ou s’allonge, hésitant.

Le temps! mais c’est nous, c’est toi et c’est moi.
Tu es la seconde et suis la minute.
Du tic au départ, le tac est le but
A cette horloge qui bat nos émois.

Nous sommes toute cette éternité,
Qui de toujours s’allonge ou diminue,
Quand notre amour enfin a retenu,
Instant unique, singularité.

De la plénitude alors embrassée,
Ignorante, la vie s’est déroulée;
Une larme est une heure écoulée,
Nous étions le temps et l’heur a passé.

 

Regard noir

 

Je te regarde, tu me regardes,
Je te regarde, tu me regardes,
Je suis las de te regarder,
Tu es las de me regarder.

Regarde-toi! Tu te regardes
Et moi aussi, je me regarde.
Tu n’arrives plus à te regarder,
Je n’arrive plus à me regarder.

Je ferme les yeux, tu fermes les yeux,
Et tout devient soudain tellement mieux,
D’un regard absolument noir
Alors, enfin, on peut se voir !

 

Ôtomne

 

Automne, aux peintres et musiciens de toujours,
Automne tu ne vois que la fin des amours.
Ce sont bien, pourtant, tes flamboyantes langueurs
Qui me révèlent leurs trop secrètes saveurs.

Les fleurs du printemps à la fraîcheur trop acide
Ne furent que mirages pour mes yeux avides.
De leurs pétales innombrables, seuls persistent
D’incertains portraits à la touche impressionniste.

Quand le soleil eut bu les rosées délicates,
De son ardeur brûlé les roses écarlates,
Ses orages chassant les dernières chimères,
L’été s’est enfuit laissant des relents amers.

Avant que l’hiver, dans un soupir verglacé,
Ne lustre les images aux couleurs lassées,
Ôtomne! par tes ors nimbant mon souvenir,
Tu me fais, consolé, de mes regrets guérir.

 

Pauvre crétin

 

Pauvre crétin! toi misérable,
Pauvre crétin! toi qu’on accable,
Toi qui soupires, toi qui endures,
Toi qui es doux, toi qui es pur,

Pauvre crétin! toi que l’on hue
Pauvre crétin! toi que l’on tue,
Toi dont on rit, toi dont on pleure,
Toi qui gémis toi qui as peur,

Pauvre crétin! tu les désires,
Pauvre crétin! tu les admires,
Tu les salues, tu les écoutes,
Tu les envies, tu les redoutes.

Mais toi qui souffres de leurs jeux,
Mais toi qui rien n’es donc pour eux,
Rien d’autre qu’un rebut infâme,
Pauvre crétin ! tu es leur âme!

 

Maudits

 

Volatiles et voyageurs,
Par des signes avant-coureurs
Ou s’annonçant à petits bruits,
De la pensée forment les fruits.
S’aimant autant qu’ils se détestent,
La phrase est, qui bien en atteste,
Leur paradis ou leur enfer,
Qui les lie en prose ou en vers.
Ils sont de plus choses fragiles
Et, d’une nature labile,
Des lèvres trop vite exprimés,
Souvent, se voient tôt abîmés.
Quand ne s’envolent, ne résonnent
A l’oreille de plus personne,
Les mots se couchent sur la feuille
Faisant le lit de leur orgueil.
Ornés d’arabesques paressent,
Imbus de lettres de noblesse,
Et dès lors qu’ôtés de la bouche,
C’est à l’œil qu’ils paraissent louches.
Quand ils atteignent leur adresse
Et doux moins souvent qu’ils ne blessent,
Demis ou vains, petits ou gros,
Les mots sont fréquemment des maux.
Comme à tout ce qu’il a créé,
L’homme ne peut plus échapper.
Pour en pleurer ou pour en rire
Pour le meilleur et pour le pire

Soyez! mots et soyez mots dits !

 

Icilà-bashaut

 

Là-bas? là-bas, c’est où je ne vais pas,
Une brume blanche efface mon pas.
Là-bas, inconnu mais si familier,
Auquel, ne sais comment, je suis lié.

Là-bas, je n’en connaîs rien mais devine
L’endroit que mes rêveries me destinent,
Là-bas où attendent tous les possibles
Et se raconte même l’indicible.

Là-bas j’y habite déjà peut-être
A côté d’une sorte de fenêtre,
Là-bas, c’est d’où je me verrais… là-bas;
Là-bas c’est-à-dire ici, ici-bas.

D’ici-bas, alors, je regarde là-haut,
Là-haut et donc, qui le sait? ici-haut.
Une brume blanche efface le pas.
Là-haut? là-haut, c’est où je ne vois pas.

Là-haut, j’y habite déjà, peut-être…

 

Âme bleue

 

A l’horizon de mon âme, une ligne bleue.
Rien au dessus, rien au dessous, pas de milieu.
Elle s’étire, infime, ignorant son début,
Elle file, ténue sans atteindre de but.
De ce trait auquel je ne connais nulle attache,
Je ne trouve en moi de pouvoir qui m’en arrache.
Captivé, subjugué, j’en refais le parcours,
Faisant suivre, sans fin, les allers aux retours.
Je ne sais comment de cet impossible espace
Je me retrouve ainsi, prisonnier de la trace.
A la raison dissoute tenter le recours
Serait bien du néant espérer le secours.
Il semblerait que les questions mêmes n’existent
Que dans ce trait d’azur qui à l’esprit résiste.
Alors, la vibration monte et devient lumière,
Puis, comme un filet de jour entre mes paupières,
Se glisse discrète, le temps d’une seconde.
J’ouvre les yeux en grand, qui s’emplissent du monde.
Là, d’une règle radieuse naît, peu à peu,
A l’horizon, entre ciel et mer, ligne bleue…

Une promesse avec un soleil au milieu.