Vie de mémoire, vide mémoire

 

De la vie, c’est toi la plus intime compagne.
Dans ta jeunesse rien ni personne n’épargnes,
Attentive, tu comptes les heures, les jours,
Témoin fidèle des chagrins et des amours.

Des forfaits tu brandis la liste vengeresse,
Des rancœurs ou des haines entretiens l’ivresse.
Tout autant tu renvoies, aux dettes comme aux torts,
Les soumets aux terribles tourments du remord.

Mais le temps, en ton sein, a conçu toutefois
Un enfant qui, lentement, se nourrit de toi.
Il t’a d’abord aidée à porter ton fardeau,
Et guéri bien des plaies, soulagé tant de maux.

Son zèle cependant, à vouloir si bien faire,
Va bientôt effacer tes souvenirs très chers
Ou, saisissant tes pages, arracher trop vite
Celles que selon lui tu n’aurais pas écrites!

A son insistance ta lassitude cède,
Il est devenu ton maître, et te dépossède.
Souviens-toi Mémoire! mais le peux-tu encore?
Qu’il s’appelle Oubli l’enfant qui attend ta mort.