Un instant dans le chaos

On ne sait s’il dort au milieu des pierres
Ou si de sa tête en sont la matière.
Des courbes déliées courent y mourir
Ou s’en échappent, on ne saurait le dire.

Illusion parfaite, il va s’éveiller,
Peut-être même va-t-il s’animer.
N’est-il, au contraire, déjà vaincu
Par l’étincelle du moment vécu ?

Ce n’est rien d’autre que spéculations.
Lorsque s’alignent les constellations,
Dans le mouvement continu des choses,
C’est un instant fugitif, une pause.

A la fin de rien était le chaos,
A la fin de tout sera le chaos.
Le tout et le rien ne sont que des mots;
Séparant les deux, un instant,…un mot.

Vieux souvenirs

Son regard ne voit plus que du vide, il attend.
Les rides écrivent la peur de l’oubli guettant.
Ses pensées dans des pages anciennes enroulées
Follement ont lancé leurs racines zélées.

S’immisçant dans les recoins de sa boite intime,
Cherchant d’une image la trace légitime,
L’écho d’un mot qui pourrait, qui sait? revenir.
Existent-ils encore, ces vieux souvenirs?

Les feuilles courbées dans une interrogation
Se resserrent soulignées d’un coup de rasoir,
Blessure du temps. Les larmes de la mémoire
En forment le point, leur seule consolation.

Pièce montée

L’une après l’autre elles sont arrivées
Et au choix du hasard se sont posées.
Les unes pour les autres étrangères,
De bonne entente ne se soucient guère.

Chacune dans sa direction regarde,
Chacune ses préoccupations garde.
La hiérarchie paraît artificielle,
La vérité est moins superficielle.

Ces figures pour le moins éclectiques,
Sont des formes d’une personne unique.
C’est moi, moi et encore moi, tout est moi.
En moi, sur moi, à côté, c’est tout moi.

Alors la main revient une autre fois,
Du plus profond de mon for intérieur,
Poser sur cet amas encore un moi.
Rendra-t-il la pièce montée meilleure ?

La clef des songes

Dans ce coin de vie, je ne suis jamais allé.
J’y vois l’anneau d’une clef semble-t-il scellée
Qui traverse la paroi, se courbe et se perd
Ignorant son but, la serrure qui l’espère.

Bien que mes yeux ne soient clos, le présent s’enlève.
Le seuil du réel s’estompe et ses marches filent.
Le mur absorbe et conduit l’écharpe du rêve,
De l’autre côté, où la femme attend, fragile.

Elle voudrait, surprise, s’échapper et fuir.
A son origine les lignes la rappellent,
Un être inquiet que son front enflammé fait luire
Dont la moitié absente est la clef, encore elle !

De l’huis ruisselant aux pointes énigmatiques,
Elle semble attendre, comme en une embuscade,
Le moment propice pour prendre en enfilade
La serrure oubliée, elle aussi amnésique.

Des détours, des retours elle se prend au jeu.
Jouer un tour autre qu’un tour de clef, se peut.
Entrer, sortir de la ronde qui se prolonge?
Faire encore un tour ? Il faudrait que l’on y songe.

Mariage freudien

Quel résultat pour une belle noce,
Juste un ensemble de creux et de bosses !
Le regard pressé un peu dépité,
N’y trouvera aucune affinité.

Mais pour peu qu’il s’attarde intrigué,
Au sein du fatras il se voit mené.
De sein en oreille et d’oreille en nez,
Aux pieds il arrive, enfin relégué.

Que fait donc ici un lys hypocrite,
Ce blanc symbole à la vierge si cher,
Parmi les jeux tortueux de la chair,
Vomissant le vil serpent qui l’habite ?

Ceci, sans doute, demande analyse
Pour que l’inconscient révèle ses liens.
Mais peut-on attendre, quoi qu’on en dise,
Autre chose d’un mariage freudien ?

Haute idée fixe

Surgie un beau jour tout à l’improviste,
Une petite idée bien ordinaire,
Ne paraissant nullement arriviste,
Du corps de la pensée, tôt se libère.

Elle s’élève en recherchant ses failles,
Monte au creux du ventre, court sur sa taille,
Laisse en son sein d’une mue la dépouille,
S’enroule, tord son cou, sa tête fouille.

A tout moment elle pourrait, lassée,
Reprendre son fil, aller suivre ailleurs
Une destinée qui serait meilleure.
Son chemin est immuablement tracé.

Alors l’idée rejaillit de la tête,
D’une ample arabesque traçant l’épure,
Pour venir inaccessible et parfaite,
Haute et fixe, imposer sa dictature.

Or, est-elle seulement acceptable
Ou du moins, à tout prendre, respectable ?
Elle a, de la pensée, illuminé
Le regard et son oeil contaminé.

La musique d’Isabelle

Enveloppée, de peur qu’on ne la touche,
De feuilles portant des lignes griffées
Que Chopin a de notes paraphé,
Du clavier seul elle acceptait les touches.

Venue, flamboyante et pure en son art,
Basson et piano, le son dans la peau,
De la flûte, alto, violon et guitare,
Faisant bientôt ses instruments nouveaux.

Mais si de tout cela sa tête est pleine,
Elle n’est pas ici, la corde sensible
Qui joue, en suivant les joies et les peines,
Frissonnante d’émotions indicibles.

Tendue elle est sur une âme bien droite,
Forte et fragile, transmet à qui aime,
Sa vibration d’harmoniques extrêmes.
Et je vois, qu’intérieur, son chant miroite.

C’est à sa pulsation que bat mon cœur,
Sur son rythme aussi danse mon bonheur.
Sonnant en moi comme nulle autre telle,
Simplement, la musique d’ Isabelle.

Gemme ton regard pour toujours

Tu gis, là, abandonnée à l’éternité
Pour un regard que trop vite tu as lancé.
Sûre de ton pouvoir, de sa fatale emprise,
Tu n’imaginais cette cruelle surprise.

De même ces sombres et tortueux serpents,
Inconditionnels auxiliaires renaissants
Sortant de ta chevelure aux mèches aiguës,
N’attendaient du sort une si funeste issue.

Du bouclier poli nul besoin de la flamme
Ma pupille au tain noir fit miroiter ton âme.
Dans ce reflet fugace, elle a trouvé son piège,
Transie, puis vaincue comme un château qu’on assiège.

Parmi les débris, c’est ton unique linceul,
Où ton aveuglement te couche à jamais seule,
Pour cet œil minéral dépourvu d’avenir,
Des cristaux sanglants luiront comme des souvenirs.

Fenêtres sur…

Des carrés de vide entourés de briques ?
Des fenêtres, peut-être un mur de briques ?
Ou des briques qui manqueraient aux briques ?
Des briques, des briques, encor des briques !

On n’y voit rien, elles béent sur elles-mêmes.
Sur rien elles n’ouvrent, on y voit soi-même.
Le rien se remplit du regard unique,
D’un corps partagé, à la taille ubique.

Moitié ignorant l’autre tout autant,
Entre les deux, rien, l’espace ou le temps,
Entre les deux, tout, la chair et le sang,
Espace irréel , moment saisissant.

La femme à la chevelure d’argile,
S’ouvrant en profonds tourbillons agiles,
Afin de figer l’instant fatidique,
Fixe ce néant entouré de briques.

Droit a la différence, droit à l’indifférence

Un, différent. Il ne l’est pas car il commence.
Après le un c’est l’autre, et les uns et les autres.
Mon un n’est pas le tien, c’est par lui que je pense.
Les uns sont des Huns quand ils ne sont les apôtres.

Indifférent, bien que pourtant si différent,
Il reste, à ma face, ma couleur ou mon sang.
A ma raison sociale il ne prête attention,
Comme à mon origine et ma destination.

Cent différents, mille encor, des mille et des cents.
La règle générale est au particulier,
Seul compte en vérité l’espoir en moi naissant
Qui donne aux êtres variés l’élan unifié.

Sans différend, cherchons dans le cœur de chacun
Un bien précieux mais hélas oublié d’aucuns,
Souvent enfoui sous le manteau des vanités,
Ce désir d’exister en toute humanité.

La différence est là, elle n’est pas exception,
Vivre sa richesse, souffrir sa condition,
C’est le lot de chacun tout en contradictions,
Sa force aussi sera de par sa négation.