Mais où est le bouton ?

Il s’affichait d’une fière manière
Jadis, à cette belle boutonnière,
Son prisonnier autant que son gardien,
Dont l’avenir semblait lié au sien.

Mais libéré de ses liens distendus
Le bouton s’en est détaché, perdu,
Ne sachant plus à quel sein se vouer.
En quelle place ira-t-il échouer ?

Se prenant peut-être pour l’œillet blanc,
De l’union éternelle le semblant,
Ornera-t-il d’autres lèvres brodées
D’autre boutonnière, raccommodé ?

Alors, la cicatrice malheureuse,
A resserré ses bordures boudeuses
Enfermant dans le vide de son cœur,
Le souvenir de son ancien bonheur.

A corps perdu

Moitié dévoré par mon regard carnassier,
De cette chair offerte, jamais rassasié,
Usé par mes caresses, encore et encore,
C’est bien tout ce qu’il reste de ce pauvre corps.

J’ai volé tant de fois son image divine,
Suivi impunément ses lignes serpentines.
J’en ai extrait l’essence même de la vie
Sans jamais compter, bien au-delà de l’envie.

Il exhibe ses manques et montre son vide,
N’en demeurent que ces quelques courbes languides.
Mais, comme au premier jour et sans défaut, pourtant,
J’y trouve sa jeunesse et mon amour ardent.

Ma mémoire a toutes ses formes sublimé,
Nul temps ne les aura de ses ans abîmées.
Elles sont là, intactes, comme suspendues.
Ce corps ou le mien, lequel ai-je donc perdu ?

Nostalgie, la jeune fille aux perles

Habillée des rubans de souvenirs
Dont ton corps semble le seul devenir,
Tu figes là ma mémoire et la noues,
Tout comme eux qui, encor, volent et jouent.

De ta figure à la beauté sans âge,
A la patience infiniment trop sage,
Monte une langueur étrange, invincible,
Tourbillon de mes émois indicibles.

S’évadent de la torsade d’oubli,
D’un vertige qui les a anoblies,
Des perles; une seconde, une année,
Nacre du temps en joyaux façonnée.

T’en faire un collier de moments uniques,
La rivière d’antan, mélancolique,
Serait forcer pour en faire étalage,
L’amour du passé et lui faire outrage.

De leur reflet seul tient ton existence,
A mon regard, intangible présence,
Et quand il lui adviendra de ternir,
Quel sera, Nostalgie, ton avenir ?

L’âge du bronze

Ce fut l’âge de pierre,
Expérience première,
Embrassant la nature,
De la vie l’aventure.

C’était l’âge du bronze,
Des devins et des bonzes,
Le temps des odyssées,
Des héros et lycées.

Et c’est l’âge de l’homme
Qui de tout fait la somme,
De la science se grise,
Au monde étend l’emprise.

Naissance d’un cadre

Une esquisse sur sa couche de pierre
Tout doucement fait frémir la matière,
Muant l’inerte en forme de pensée,
D’une conscience, première lancée.

Mais la ligne vient alors, de l’orgueil
Marquer ce qui en deviendra le seuil.
L’idée, du monde se voulant maîtresse,
De son pouvoir trace la forteresse.

Ce qui n’était que surface ravie
Se fait pour finir cadre de la vie.
Sa nature excluant, l’homme imagine
Ainsi s’isoler de son origine.

Son illusion d’être à tout supérieur,
Est le mur de sa folie intérieure.
Dans ce cadre né, fruit de ses efforts,
Aurait-il à ce point peur du dehors ?

Image-Magie

A l’image de la magie
Sur les sens l’illusion agit.
D’une scène l’image unie,
D’artifices n’est que génie.

A notre œil, la ligne trompeuse
Donne au vide matière heureuse.
Du clair au foncé le négoce,
Fait prendre le plat pour la bosse.

D’un point de vue le choix habile,
Par des incidences subtiles,
Du réel, à tous les regards,
Impose un unique avatar

Mimant les lois de la nature,
Contre la raison. Forfaiture!
Pour la chose on prend son mirage,
C’est là, la magie de l’image.

Cadre, cadre moyen, cadre supérieur

Quoi que vous y mettiez,
Chez nous il faut des cadres !
Ne nous est familier
Que ce qui, pour nous, cadre.

Grand, petit, beau ou laid,
D’un cadre absolument,
Peu importe s’il plaît,
Il faut le règlement.

Cadre, cadre moyen
Ou cadre supérieur,
Lequel ici convient?
Quel est donc le meilleur?

Pour ce qui est dedans,
Pour ce qui est dehors,
Aucun il ne comprend.
C’est du cadre le sort.

Fou d’aile

La nostalgie vient, cajoleuse,
Vanesse à la teinte soyeuse,
Frôler la mémoire blessée,
Raviver la peine passée.

Partie à jamais, éternelle,
D’Elle il ne reste donc plus qu’ailes,
Battements d’un reflet qui luit
Au profond de sa nuit, à lui.

Dans le bleu, ciel imaginaire,
D’un autre monde, d’autres airs
Ce papillon est, qui l’affole ,
De l’amour éperdu le vol.

En guetter le moindre caprice
Est son ineffable délice.
Il devient aujourd’hui fou d’aile
Comme hier il était fou d’elle.

Les fleurs et les fruits – Colonne bi-ionique

C’est une très ancienne colonne ionique
Avec deux volutes pour caractère unique.
Là, à son pied, quelques fleurs, jadis déposées,
Renaissent, nourries d’un soupçon de rosée.

Du fût antique, la façade délitée
Est par une déesse nouvelle habitée,
Faisant don au minéral de sa chair divine;
Maillé de dentelle, ce ventre qu’on devine.

Mais le corps grandi de cette fraîche culture
S’affuble maintenant d’une hideuse harnachure,
Offrant ses fruits de ses gants de velours turpides
A qui voudrait croire à leur nature candide.

Et l’orgueilleux bouquet aux fétides relents
N’est plus que vanité d’un tout dernier élan.
Ses lys desséchant, attendront, tels leurs pareils,
Une rosée des dieux pour un nouveau réveil.

(R)Révolution ?

Lisse et brillante, la forme parfaite
Est apparue ainsi devant la bête
Considérant cette neuve émergence
Sans la moindre trace d’intelligence,

La face tordue de lignes grossières,
Les yeux éteints, tels deux globes de pierre.
Le temps, les lustres, les siècles, les ères,
Au progrès, semblent ne pouvoir rien faire.

Or, ce jalon de nature nouvelle, inconnue,
Par on ne sait quel pouvoir bien venu,
D’une raison, d’un besoin supérieur,
Imprégna le vil magma intérieur.

Vient alors le jour qui révèle au monde,
Métamorphose du chaos immonde,
Le nouvel esprit, rigueur ordonnée,
Quittant la chrysalide condamnée,

Une sorte de bourgeon se détache
découvrant en son milieu une tache
Lisse et brillante, la forme parfaite
Qui apparaît ainsi devant la bête…