Miroirs de l’âme

Au milieu des cadres, faces ensommeillées,
D’une blanche opacité toutes émaillées,
La conscience s’éveille, l’image anticipe
Par ses premiers éclats, et ses limbes dissipe.

De la réalité, pellicule cirée,
Fendant son tain de glace, elle sort libérée,
Impatiente de par l’attente séculaire,
Avide de sa nouvelle vie spéculaire.

Mais l’âme n’est pas seule ou du moins pas unique,
C’est une foule dans cet envers hermétique.
Il fallait donc bien qu’elles ressortent à leur tour
Toutes celles par les miroirs entrées un jour.

Ici, à l’abri des destinées hasardeuses,
Elles n’attendaient plus sortie si aventureuse.
Une inquiétude monte, vite lancinante,
Celle, qu’elle ou elles ne deviennent errantes.

Où auront-elles maintenant droit de cité ?
Sauront-elles encore à nous se refléter ?
Une simple vitre pourrait-elle suffire ?
Assurément, c’est bien là qu’il faut réfléchir.

Chacun chez soi

C’est à vrai dire le meilleur endroit qui soit,
Un lieu tout empreint de ses habitudes à soi.
Un endroit bien connu où rien ne nous déçoit,
Duquel des bruits extérieurs, rien on ne perçoit.

Là où à tous les combats du monde on sursoit.
De temps en temps un autre soi chez soi reçoit,
Que de sa fenêtre parfois on aperçoit
Et qu’un manque d’habitude fait qu’on voussoie.

Dans le confort, la sécurité on s’assoit
De crainte qu’un soi quelconque ne la fossoie
Cette confiance là, qui flatte son en-soi.
Rien ne vaut, il est sûr, d’être chacun chez soi.

Spectre

L’homme en son coeur joue d’une gamme chromatique.
Sombre, claire, terne ou vive, pas toujours belle,
Chaque couleur, pour nous, des émotions recèle.
Les tonalités, de la vie, créent la musique.

Blanc! Tout! plénitude à la genèse appelant,
Si rien ne perds, tu es au vide ressemblant!

Rouge! dans ta passion, tout commence, vit, bouge.
Mais si la mesure abandonnes, on te voit, rouge!
Orange! ta fulgurance souvent dérange,
De la fierté et l’orgueil jamais ne te ranges!

Jaune! radieux soleil ou douceur de l’automne,
Es dans le mensonge, privé d’éclat, atone!
Vert! tu es l’espoir et du renouveau le nerf,
Quand tu n’habilles de la perfidie l’envers!

Bleu! ton esprit emplit le ciel, aventureux,
Ta paix d’azur paralysé nous rend frileux!
Violet! d’un raffinement sensible, reflet,
Aux croyances occultes, à la mort complais!

Noir! de l’absence, du mystère as le pouvoir,
Et costumes d’élégance le désespoir!

 

Noir! de l’absence, du mystère as le pouvoir,
Et costumes d’élégance le désespoir.

Les fruits de la réflexion

De respectables volutes prêtant assise,
Un col délicat pour en parfaire la mise,
L’homme se présente dans sa solennité.
Empreinte, il est vrai, d’un soupçon de vanité.

Il a un talent fou, est capable de tout,
Son esprit délié déborde de partout.
Par de puissants tourbillons jusque dans sa chair,
La pensée est marquée. Elle gagne aussi l’éther.

Serviteur d’un roi ? de lui-même seulement ?
Pourquoi tant de réflexion, de débordements ?
La coiffe ridicule, des grandes idées,
Voudrait sauver l’apparence des retombées.

Les étoiles dorées ne sont plus que grelots,
Leur tintement fêlé, du réel, trémolo.
Et si les nommer ainsi, n’est pas impossible,
Ces fruits sont trop aigres pour être comestibles?

Série noire (accident de cuisson)

Etres obscurs, d’exister n’avez plus l’orgueil.
La terre douce et rouge qui vous a fait vivre
S’est du soleil trop chauffée, est devenu ivre.
De son éclat insolent vous portez le deuil !

Destins ténébreux de ceux qui étaient promis
Aux couleurs animées que le sort à omis.
Vous cherchez vainement dans un avenir sombre
Ces espoirs éperdus si tôt jetés dans l’ombre.

Têtes brûlées, vous avez tutoyé le feu.
L’argile docile, de la flamme le jeu,
N’est plus que lave stérile et raidie. Comprendre ?
Il est trop tard, pour vous dont le coeur est de cendre.

Une légère ondulation

Il a vécu un temps,
Il a vécu longtemps,
Il a vécu son temps,

A regardé le monde,
A regardé les hommes,
A regardé les cieux,

Interrogé le monde,
Interrogé les hommes,
Interrogé les dieux,

Il n’a plus rien à faire,
Il n’a plus rien à voir,
Il n’a plus rien à dire,

Sa sagesse est immense,
Sa pensée transcendance,
Sur la trame de l’infini, la conclusion
Est tout au plus une légère ondulation.

Encore que…!

Terre de rêve

Rêve, rêve, ô ma terre ! d’où je viens.
Tu portes mon sens, m’as donné la vie,
De l’empreinte de ton sable ravie.
Le sommeil, m’enlève, je t’appartiens.

Rêve, rêve, ô ma terre ! là je vais,
Quand le plomb de l’être alourdit mon corps,
Le combat contre moi-même s’endort,
Reprendre ma place, elle que j’avais.

Rêve, rêve, ô ma terre ! l’autre monde
Dont la frontière on ne sait la limite,
Fermé à nulle marche vagabonde,
Où nulle tentation n’est interdite.

Tu m’y emmènes, je viens, je te suis,
Ma beauté, bien au delà de la nuit.
Dans ton cadre je te rejoins sans trêve
Et j’implore; ô ma terre ! rêve, rêve !

Décadrage

Qu’est-ce là ? on dirait un décadrage,
Comme si par là était passé l’orage
Qui aurait aussi, inutile outrage,
Dévoilé le coin de ce blanc métrage.

Il faut à tout prix changer ce cadrage,
Trouver vite la raison du virage.
Sans doute est-ce un problème d’amarrage,
Ou peut-être seulement de serrage.

Cela peut-il venir de l’entourage,
La solution serait dans les parages ?
Pour en finir, c’est d’un geste de rage
Que sûrement viendra, le recadrage.

Pages blanches

Entourée de blanc ondule la face noire,
Un plan obscur d’où ne peut naître que l’espoir.
Tous alignés, d’une série tous identiques,
Flottent ces êtres sans âme tous apathiques.

Couleur, forme, de différence aucune sorte,
Noirs ils sont aussi, comme la nuit qui les porte.
Une fulgurance, l’événement mythique,
Jaillit, au centre de la sombre robotique ;

Un tourbillon de feuilles blanches déroulées.
Du vortex se détache la page, envolée,
Posant ici ou là un destin inconnu,
Sur eux, ceux à qui rien n’est encore advenu.

Ils attendent impassibles le carré volage,
Chacun à sa façon recevra une page,
Y couchera des couleurs, des formes, des envies,
Et les mots qu’il trouvera écriront sa vie.

La dentellière

Tout en dentelle, filet de délicatesse,
C’est ton arme absolue, ta nasse chasseresse.
Avec soin et patience, tu l’as ouvragée,
Dans l’espoir de l’esthète inconséquent piéger.

Retroussant ses bords et par ses festons livrée,
Tu viens t’épanouir comme une fleur givrée.
En son cœur, rougies d’ une incandescence lisse,
Tes lèvres forment l’irrésistible prémisse

De la coiffe dont les flammes impétueuses
Embrasent ton masque à l’expression vertueuse.
L’incendie qui se propage, brûle et rugit,
Ne révèle qui le nourrit, d’où il surgit.

Du butin dissout dans tes vagues en folie,
Restent seuls des fantômes de roses pâlies.
Alors que s’attarde le brasier emphatique,
Tes yeux déjà me fixent d’un jade hypnotique.