Tronc hors du commun

Dans ses reflets plombés, luisante et grise,
Les reliefs bombés l’ombre métallise,
Voulant d’une gravité immuable
Appesantir tout être remarquable.

De cette cuirasse des certitudes,
Hors du commun de toutes habitudes,
Le tronc palpitant d’exaltation
Cherche pour son salut, l’élévation.

Des formes de femme, ce buste affirme,
Il n’est qu’un pauvre corps sans bras, infirme.
Les manques dessinent les arabesques
D’un élan trop tôt épuisé, dantesque.

Des dents serrées de la gangue accrocheuse,
De piètres ailettes présomptueuses
Voudraient emmener, espoir incertain,
Ce tronc humain vers un juste destin.

Mais quelle tête pour donner un sens,
Et guider, de l’esprit l’arborescence,
Pour nourrir d’une sève singulière
Sa frondaison enfin particulière?

Emporte pièces

Là, une pièce, deux, puis trois qui se rassemblent,
D’autres surviennent encore mais ne s’assemblent.
De cet amas, ce qui semble être un jeu commence
Qui d’emblée à tous paraît simple, à l’évidence.

Jeu du vide et du plein, de la forme en son creux,
Dont on attend bien longtemps le mariage heureux,
Du trop grand, trop petit, répétition lassante,
Principe facile mais pratique éprouvante.

Or, alors qu’un tout naît des morceaux impartis,
Il se révèle n’être qu’à nouveau partie,
Ainsi celui, mais qui s’en sera aperçu?
Dont la quête, enfin, vient de trouver son issue.

Ce que l’on ne croyait que question de patience,
Va se muer pas à pas en cas de conscience
Car nous sommes ce jeu dont nous créons les pièces
Qui ne sont que les parcelles de notre espèce.

De leur fusion se fera notre complétude.
Elle ne sera cependant pas finitude
Mais un lien unissant à d’autres dimensions
Notre moi, l’emportant vers sa destination.

Le dernier tube

Tous les pinceaux sont rangés, les couleurs noyées.
Il reste un tube, au fond de ma boîte souillée,
Que j’ai toujours vu, comme abusant d’un sursis;
Huile, aquarelle ou gouache, anonyme, endurci.

Recroquevillé, comme retiré du monde,
Une scorie de l’art, une relique immonde.
Ce, finalement, compagnon sans étiquette,
In extremis se voit l’objet de ma requête.

Vaincre la pâte rassise et tordre son cou
N’est que curiosité, qui est déjà beaucoup !
L’ultime pression, du dernier jet l’ironie,
Lui font rendre l’âme en une plate agonie.

De ce qui vient alors, l’émotion ne peut feindre,
C’est le portrait que toujours j’ai tenté de peindre;
Testament ici couché, à la dernière heure,
Legs à la palette des formes et couleurs.

Je crois que pour elle il est cependant trop tard.
Des veines de ce bois, nouveau cercueil de l’art,
Le lyctus prépare la poussière d’antan,
Seule trace pour des lendemains déchantant.

Il était donc ici ce maître aux illusions,
Qui s’est tant joué de mes interrogations
Par une banalité suprême, maline,
Ce tube au génie dont j’ignore l’origine.

La saison de la liberté

Serait-ce aujourd’hui la saison pour celle
Qui de la prison que la raison scelle,
Monte, insolente, au barreau s’enrouler,
Epanouir sa fleur tant refoulée ?

De liberté on lui donne le nom,
Combien de jours aura-t-elle à fleurir ?
Ne peut-on redouter qu’au premier non
Sa robe fraîche ne se voie flétrir ?

Maintenant c’est du barreau enlacé
Que vient l’idée d’être libre; déplacée !
Des pétales de rouille iraient un jour,
Pour sa liberté, s’ouvrir à leur tour ?

Alors, plus loin un bouton se prépare
Pour ce temps qui ne viendra que plus tard.
Qui donc l’attend avec cette impatience,
Lui qui n’existe que de son absence ?

De leur condition, la grille et la fleur,
ne peuvent sortir, leur être nier.
De saison? la liberté naît et meurt
Seulement où l’homme est le jardinier.

Regard intérieur, regard extérieur

Où suis-je ? je me suis perdu de vue.
A l’instant encor, je me regardais,
Me regardais je, intime entrevue,
Et de me retrouver il me tardait.

Mon œil à peine entrant dans l’extérieur,
Par moi se sent à l’instant observé.
Pour aussitôt, sortant par l’intérieur,
Retrouver cette impression, énervé.

Quittant alors le dedans du dehors
Et pénétrant le dehors du dedans,
Il flotte hors du dans et dans le hors,
De perspective toute idée perdant.

Ivresse de tous ces retournements,
De ne pas savoir où l’on a sa place,
Dans la vision de ces renversements
L’ici, l’ailleurs, dans mon esprit s’enlacent.

D’intérieur, d’extérieur, il n’y a pas,
Ils ne font que me ramener à moi.
La frontière donne le sens des pas.
J’y suis, là je me regarde, je crois !

Enchaînements

Des chaînes des plaques, aussi des vis
Accessoires d’un corps en punition ?
Cette femme subirait les sévices
D’une vieille justice, la question ?

Pourtant bien qu’elle paraisse surgir
L’âme d’acier ne lui est étrangère.
Elle ne la craint, sait la faire rougir,
C’est elle qui l’a formée toute entière.

C’est la forge qui tinte de ses chaînes,
Elle n’est pas femme aux autres semblable,
Et, d’une indifférence souveraine,
porte ses attributs peu respectables.

Son corps de flamme en connaît les secrets,
Le sens boulonné en est son renfort.
Epargnez donc vos reproches discrets!
Qui va torturer une métaphore ?

Les penseurs d’airain

Sur un lit de pierre, sont des têtes anciennes,
Alignées ici, le temps que l’histoire advienne.
Une idée première en un germe contenue
S’est libérée, conquérante de l’inconnu.

Découvrant un espace neuf, s’y avançant,
Le comblant d’un dessein aux formes convulsives.
Rien ne faisant obstacle à ce magma pensant
Sinon la certitude à la froideur nocive.

L’airain à qui l’on prête une vie éternelle
N’est que, d’une illusion, la trace plus durable
En regard de ce qui déjà n’est plus réel,
Que l’art sans en douter nommerait l’ineffable.

Le nouveau chercheur à l’esprit bien encadré
Semble ne pas savoir ou a tout oublié.
Il a recréé son monde ignorant les siens,
Tous, ceux avant lui et la forge d’où il vient.

Des questions nouvelles aux réponses virtuelles,
La voie inaugurée, où l’emmènera-t-elle ?
Ailleurs, car plus aucune limite il ne craint
Dans son monde vide où il n’y a plus d’airain.

Table de division

Entrée un jour, impatiente, alerte,
La table était rase, la vie ouverte.
Prendre un verre, elle avait juste le temps,
La bouteille! elle n’en demandait pas tant.

Et pourtant, c’est de bouteille en bouteille
Qu’a commencé le compte du réveil,
Le tic des minutes, le tac des heures.
Le temps qui coule, celui de ses pleurs,

Elle, clepsydre bientôt devenue,
De leur eau fait la mesure des ans.
Alors la nappe de ce jour tendue,
Est restée de son devenir l’écran.

L’avant, l’après, elle ne sait réunir,
Comment recoller le terme manquant.
Elle espérait tout l’or de l’ avenir,
Elle attend que se referme le temps.

Page de vie

Par une main inconnue détachée du rien,
Emportée par nul autre souffle que le sien,
Elle voile la brute de divinité,
Lui offrant un relief nouveau d’humanité,

Pour y façonner l’expression des sentiments,
L’apprête à recevoir la marque des tourments.
Le parchemin rigide ou le papier docile
En diront la force ou les nuances subtiles.

Cet être à quiconque jamais n’a réclamé
Un présent, venu par surprise l’animer.
Ici ou ailleurs à la rencontre promis,
Simplement il attendait inerte et soumis.

Elle est page de vie, non page de la vie.
Elle sera par les ans doucement usée,
Ou par un destin brutal promptement ravie.
D’autres enverra-t-elle, la main amusée ?

L’encadreuse

Cette mouche déraille, ne tient plus en place,
Ne trouve pas l’endroit qui convient à sa classe.
Sans doute collée sur un front, majestueuse,
Eût-elle été au coin d’une bouche, baiseuse,

Effrontée ou gaillarde posée sur le nez,
Enjouée ou galante, à la joue l’eût menée,
A moins d’être à l’oeil passionnée ou assassine,
Coquette ou friponne, auprès de lèvres mutines.

Mais point de tête, à rien elle ne peut prétendre !
Pas même sur le menton, discrète, à tout prendre !
Comme elle ne veut être au sein, la généreuse,
A défaut, elle ne sera que l’encadreuse.